COP24 : aux racines de l’impasse des négociations climatiques
La COP24 s’est conclue le 15 décembre dernier par l’adoption des règles d’application de l’accord de Paris de 2015. Considérée comme un semi-échec du fait de l’absence d’engagements supplémentaires et pourtant nécessaires dans la lutte contre le changement climatique, la conférence a reflété, une fois de plus, les difficultés de la communauté internationale à avancer sur le dossier climatique. Appliquer la théorie des jeux aux négociations climatiques permet de comprendre les raisons de l’impasse – et de proposer des pistes de réponse.
COP24 : un sommet climatique en demi-teinte
La COP24 – c’est-à-dire la 24ème conférence de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques – s’est tenue du 2 au 15 décembre 2018 à Katowice, en Pologne. La finalité de la conférence était d’adopter les règles d’application de l’accord de Paris sur le climat, conclu en 2015 à l’issue de la COP21. Les 196 Etats sont parvenus à s’entendre sur les modalités d’évaluation de leurs efforts de réduction des émissions de CO2, mais certains points de blocage ont empêché une interprétation généreuse du texte de 2015. Le Brésil a ainsi obtenu le report des discussions sur l’application d’un article portant sur les mécanismes du marché carbone. La référence aux droits humains comme partie intégrante de la transition écologique a par ailleurs été supprimée du texte. Enfin, les Etats n’ont pas réussi à s’accorder sur une hausse des efforts collectifs dans la lutte contre le changement climatique, se contentant d’insister sur l’urgence d’une « ambition accrue ».
Si la COP24 ne saurait constituer un échec total, il n’en reste pas moins que les négociations climatiques au niveau international frappent par l’inadéquation entre la timidité des engagements pris et l’urgence de la situation. Le dossier climatique avance à pas comptés, alors même que le besoin d’une action substantielle se fait de plus en plus pressant, comme en témoigne le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) publié en octobre dernier. Ce rapport alerte les Etats sur les effets négatifs d’une hausse des températures de 1.5°C par rapport aux niveaux préindustriels, et prédit une hausse de 5.5°C d’ici à 2100, si aucune action significative n’est prise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC appelle les pays à diviser par deux leurs émissions de CO2 d’ici à 2030. Face à ces données glaçantes, le nouvel accord signé dans le cadre de la COP24 se contente de « saluer l’achèvement dans les délais du rapport du GIEC ». Pourquoi donc les négociations climatiques sont-elles si difficiles ? Un modèle théorique, la théorie des jeux, permet de comprendre certains éléments – et envisager de potentielles solutions.
Négociations climatiques et théorie des jeux : un dilemme du prisonnier particulier
La théorie des jeux est à l’origine un modèle mathématique, notamment développé par l’économiste et mathématicien John Nash, lauréat du prix de la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel en 1994. Cette théorie étudie les situations de conflit et de coopération au sein d’un groupe ou entre différents groupes, et vise à démontrer que des choix individuellement rationnels peuvent aboutir à des décisions collectivement irrationnelles. Le jeu le plus célèbre est le dilemme du prisonnier, énoncé par Albert W. Tucker en 1950. Le dilemme du prisonnier met en scène deux prisonniers dont l’intérêt individuel est d’être libéré, ce qui peut être obtenu en dénonçant l’autre à condition que l’autre se taise. Collectivement, les deux prisonniers auraient intérêt à coopérer – en restant silencieux pour ne pas dénoncer l’autre – afin que chacun écope d’une peine plus légère. Mais parce qu’aucun des deux joueurs ne peut être totalement sûr du choix de l’autre, chacun choisit de dénoncer son complice, craignant de coopérer alors que l’autre ne coopère pas, et écope donc d’une peine plus lourde. Le dilemme du prisonnier démontre qu’alors que coopérer semble être collectivement la meilleure option, les joueurs se retrouvent dans une situation de non-coopération.
Quel rapport avec la lutte contre le réchauffement climatique ? La théorie des jeux, appliquée aux relations internationales, permet de rendre compte – avec certaines limites bien entendu – du comportement des Etats. Dans l’arène internationale, les choix d’un Etat dépendent très souvent des choix effectués par les autres Etats. Le dilemme du prisonnier permet de rendre compte des négociations climatiques à l’échelon international, en fournissant un cadre d’analyse simplifié. L’intérêt de chaque Etat est d’assurer sa croissance économique – c’est-à-dire polluer – alors que l’intérêt collectif est de sauver la planète – c’est-à-dire réduire les émissions globales de CO2. La meilleure solution pour un Etat serait de continuer à polluer alors que les autres coopèrent. Chaque Etat, craignant de coopérer tout seul, et donc de sacrifier sa croissance économique pour un bien commun non poursuivi par les autres, choisira de ne pas coopérer et de continuer à polluer. Le « dilemme du prisonnier climatique » comporte une caractéristique particulière, du fait que certains Etats sont moins incités à coopérer, à moyen terme : les plus gros pollueurs sont souvent les moins vulnérables au changement climatique.
Sortir du dilemme implique d’abaisser le coût de la coopération afin de la rendre plus crédible
Comment sortir du dilemme ? Il existe plusieurs solutions – du moins, pistes de réponse. Le dilemme du prisonnier peut être résolu en jouant le jeu plusieurs fois de suite, afin que les acteurs prennent conscience que la coopération est la meilleure solution. En ce qui concerne le dossier climatique, cette option impliquerait de multiplier les engagements, les sommets internationaux, les rapports du type GIEC… mais cela risquerait de prendre du temps, alors que les acteurs internationaux ne peuvent plus se payer le luxe d’attendre. La COP24 a le mérite de fournir une autre piste de réponse : réduire l’incertitude entre les joueurs, en fournissant un cadre transparent permettant de mesurer les efforts accomplis dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La solution la plus efficace et crédible serait d’abaisser le coût de la coopération, c’est-à-dire de récompenser la coopération et de pénaliser la non-coopération. Aucune institution internationale n’est pour l’heure apte à récompenser les efforts des Etats ou pénaliser les pollueurs. Un tel résultat peut toutefois être atteint en faisant de la limitation des émissions de carbone une norme internationale, incitant les Etats à coopérer, et faisant ainsi de la coopération un comportement prédictible des Etats. Une manière pragmatique d’arriver à cette fin ambitieuse pourrait être de privilégier les accords au sein d’organisations régionales comme l’Union européenne par exemple. Un accord plus ambitieux que celui de 2015 serait ainsi signé au sein d’un premier groupe, avant d’être élargi à d’autres groupes en vue de parvenir à un cadre international commun. Le but d’une telle approche serait également de réintégrer les Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique, ce qui pour le moment est loin d’être assuré.